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le blog de Laurent Tellier

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Evasion, poésie, loufoque, tout ici est permis dans le respect des autres et de soi-même . Un espace de liberté et de partages autour d'un thème commun: l'amour de la langue française.


Le Noël de Noël Trainod, de Rennes (petit conte de Noël, pour vous remercier de votre indulgence)

Publié le 25 Décembre 2021, 08:43am

 

Allez, je me jette à l’eau. Enfin, ceux qui me connaissent savent que c’est une figure de style. Je suis aquaphobe (la peur de l'eau, n'étant pas né sous le signe du poisson), vieux traumatisme d’enfance quand je fus jeté à la mer pour m’apprendre à nager. Sinon, tout va bien, je suis à jour temporairement de mes vaccins, j’ai un passe sanitaire et je me sens citoyen modèle (c’est pathétique, où allons nous ?). La preuve de cette capitulation , voilà huit jours que je n’ai pas pris de PV, c'est un vrai miracle, j’ai mon épuisé mon quota de pubs à la télé (zéro, je ne regarde plus la télé), je crois que je vais avoir du bonus pour les assurances, que les labos vont faire un effort pour l’hôpital, avec tout ce qu’ils engrangent, bref, vous avez compris, je crois au Père Noël. Ah, celui-là, heureusement qu’il existe. Mais qui donc l’a inventé, parce qu’il mérite le prix Nobel de la crédulité. On ne sait pas, même sur Facebook, sorte de nouveau tribunal des navrants délires, en moins drôle. Voici donc Noël Trainod, de Rennes.

Evidemment, nous sommes le 24 décembre 1924 (un jour je vous dirai pourquoi je suis bloqué en 1924, je vous conseille déjà d’aller voir sur une encyclopédie tout ce qui s’est passé cette année-là, vous y trouverez la réponse).

Noël Trainod arrivait de Rennes et ça glissait fort à la gare de Lyon quand il est sorti. De Rennes à la gare de Lyon, mais il s’égare ! (logique, non). Que n’aurais-je entendu s’il était arrivé à la Gare de Rennes en venant de Lyon, je vous connais un peu. Mais l’âme voyageuse de ce monsieur Trainod nous importe peu, fût-il arrivé en renne et en traineau à Paris…

Or donc (c’est mon introduction favorite), Noël arrive un 25 décembre (il va chez sa sœur) et c’est déjà un petit événement. On ignore encore les décorations à ampoules LED et seuls quelques magasins proposent des trucs « spécial Noël », on admire les grands magasins enguirlandés et photographiés par Léon Gimpel ou Eugène Adget, mais c’est pour ceux qui peuvent acheter, Noël est déjà une affaire de sélection. En remontant les boulevards dans un froid de canard, Noël décide soudain d’offrir à sa nièce un vrai cadeau. Il faut dire que Mandarine (ah, la pauvre) va sur ses quinze ans et qu’elle est belle comme un cœur. Elle a déjà été repérée et on voit sa jolie trombine dans les magazines où elle vante les produits les plus divers. Mandarine, c’est la fille de sa sœur, Clémentine (évidemment), et il y a un moment qu’il ne l’a pas vue alors il va faire un effort. Noël n’est pas précisément quelqu’un d’aisé, mais c’est un Breton ! Il achète à sa nièce un élégant chapeau cloche et à sa sœur, un élégant chapeau cloche. Il a beaucoup d'imagination pour offrir des cadeaux à des femmes.

Avant d’aller faire ses emplettes, il va déposer ses bagages chez sœur, qu’il a oublié de prévenir. On s’en doute, Clémentine est en fâcheuse posture quand Noël sonne à la porte. Elle prépare une dinde qu’elle fourre de marrons mais en ahanant si fort que son frère se méprend. En la voyant toute en sueur et rouge écarlate, les mains dans le tablier, il continue de penser à autre chose et s’enfonce dans la méprise. Dans la cuisine, on entend un couteau tomber, qui laisse à penser qu’il y a quelqu’un là-bas. Pour sûr, ce n’est pas son beau-frère, il est actuellement à l’hôpital pour quelques babioles, à Sainte-Anne. Noël, toujours persuadé que sa sœur a reçu une visite de courtoisie (c’est dur de dire les choses comme elles sont, mais l’époque est prude), se sent en légitimité de lui dire ses quatre vérités. Cela d’autant plus qu’on n’a jamais connu de liaison à Noël et qu’on le dit analphabète de la femme. Dans ces entre-fêtes (oui, ne corrigez pas), voilà qu’arrive Mandarine, toute émoustillée par sa nouvelle couverture de magazine. Ah, mon oncle, quelle surprise ! Du coup, Clémentine va enfourner sa dinde en traitant son frère de jolis noms d’oiseaux. La jeune fille étale les photographies qui vont servir à faire vendre des parfums de luxe. En deux mots, elle a réussi à se faire un nom, car vanter les parfums de luxe, c’est le Graal des mannequins. Le hic, c’est que pour en arriver là, elle a dû se résoudre à poser légère et court vêtue, sinon, on ne vend rien. Après, on crie au loup, bien sûr.

Tonton Noël en reste coi, la bouche ouverte, on dirait qu’il va faire une attaque. Clémentine a bien entendu ce grand silence et accourt, un peu effrayée. Elle demande à sa fille en levant le menton vers son frère. Elle montre la maquette de la publicité et voilà que toutes les deux éclatent d’un rire sonore et retentissant (c’est pour équilibrer la phrase). Noël reprend ses esprits, commence à insulter sa sœur, mais comment, ta fille se livre à la pornographie, à son âge et tu rigoles. Du coup, ça alimente le fou-rire et la colère de Noël et tout cela dure un certain temps. Quand tout est enfin calmé, Mandarine (c’est drôle, je ne m’y fais pas) va chercher un grand cahier où elle garde ses photos. Elle demande à son oncle de s’asseoir et lui présente ce qu’elle fait. Oh, il n’y a rien de provocant, rien d’équivoque, ce sont de belles photos qui font ressortir la beauté de sa nièce, dans toute sa splendeur. On a habilement caché quelques lieux stratégiques. Clémentine, qui veille jalousement sur les fréquentations de sa fille, assiste à toutes les séances, pour la protéger. Grâce à son travail, on sait que la jeune fille va bientôt faire du cinéma, il faut juste qu’elle travaille sa voix, le cinéma va bientôt parler, on le sait, et il faudra de nouveaux visages. Petit à petit, Noël se reprend, il devient même curieux, le cinéma, avec qui, dans quel genre. Il devient même agaçant. C’est là que l’on entend frapper à la porte. C’est un producteur qui vient proposer un contrat à la jeune fille. Il lui laisse un dossier, elle a quinze jours pour signer après, il lui promet une belle carrière. Juste une chose, il faudra lui trouver un autre nom, Mandarine Trainod, c’est pas trop …

Le soir, puis la nuit de Noël, on a travaillé pour donner un nom de star à la future vedette. Noël trouvait quand même qu’abandonner son nom : Trainod, c’était un affront à la famille, mais il était devenu conciliant. On ne sait jamais, si la nièce réussit dans le cinéma parlant, quand même !

Il était cinq heures vingt-cinq, ce 25 décembre 1924 quand la lumière éclaira les esprits. Mandarine Trainod allait devenir Mademoiselle Dornay (une sorte d’anagramme simplifiée de Trainod). On ne divulguera jamais son nom de famille. Ni son prénom. On n’a pas inventé Noël, ce jour-là, on lui a rendu sa famille et son bonheur, c’est mille fois mieux.

Ce fut le plus beau jour de Noël. Il avait décidé, pour fêter Noël, d’inviter sa famille à midi chez Maxim’s, on ne sait jamais, on croiserait peut-être Mistinguett, ou Cocteau, allez savoir.

Quand on ne pourra plus rêver, ni inventer, ni imaginer, il ne servira plus à rien d’exister. Pour toutes ces raisons, si nous ne croyons plus à rien, continuons d’espérer. Moi, j’aurai un cadeau à Noël, je penserai à tous les miens, et à tous ceux qui sont chers. 

Joyeux Noël à tous, affectueusement. Dans tout le vacarme ambiant, on a oublié la fraternité, c'est déjà un pas de recul, vers l'intolérance.

 

 

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