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le blog de Laurent Tellier

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Evasion, poésie, loufoque, tout ici est permis dans le respect des autres et de soi-même . Un espace de liberté et de partages autour d'un thème commun: l'amour de la langue française.


Le destin de l’escadrille « la Devise » Conte prémonitoire

Publié le 30 Septembre 2023, 08:59am

Le destin de l’escadrille « la Devise »

Conte prémonitoire

 

A Bétheny, près de Reims, en ce printemps 1924, là où avaient eu lieu quelques rencontres aériennes et où le Tsar de toutes les Russies avait défilé en grandes pompes bien des années avant, on préparait activement une petite escadrille, baptisée « La Devise », composée de trois avions des Hanriot HD 15 : le « Liberté », du Commandant Moët, « l’Egalité » du lieutenant Chandon et le « Fraternité » du sergent-chef Clicquot. La mission de ces pionniers était simple, rallier les bouts de France éparpillés entre les Etats-Unis et l’Amérique du Sud. Les étapes : Irlande, Islande, Canada, Etats-Unis. Il fallait bien montrer la grandeur et l’immensité de la France. On avait invité le ban et l’arrière-ban du gratin champenois qui s’est mis en rang d’oignon pour écouter une Marseillaise martiale et fervente, même si dans la vraie recette du gratin, on ne met pas d’oignon. On commençait à tester des systèmes de navigation performants, avec des compteurs, des chiffres et la radio pour maintenir le contact entre les trois pilotes. A Glasgow, on a acclamé le trio champenois et arrosé la soirée de pur malt, on a fait le plein (des réservoirs) et en Islande, où il faisait un temps breton, c’était un peu plus officiel, avec les représentants diplomatiques qui, pour ne pas sembler en faire trop, avaient évité les grandes marques de Champagne, ce que les pilotes Moët, Chandon et Clicquot ont assez mal vécu. Une semaine plus tard, c’était l’arrivée à New-York, dans la liesse mais sans plus. Lindbergh était là, il préparait la concrétisation de son rêve, aller de New-York à Paris sans escale, mais c’était encore un projet. Il s’est entretenu avec les pilotes, bien sûr, on n’en saura rien.

Maintenant, restait à préparer le dernier tiers de l’épopée.

Il fallait faire étape encore en Caroline, puis en Floride avant d’en finir au-dessus du Golfe du Mexique. Tout allait bien, jusque-là, tout s’était bien passé et la presse américaine suivait avec intérêt cette épopée. Parler de la Devise, c’est vanter le pays et nos trois pilotes s’étaient inventés leur propre légende.

A Miami, on préparait dans la bonne humeur le dernier saut de puce vers la Guadeloupe. Il était prévu le rapatriement des as de l’aviation en bateau, pour ne pas les mettre en danger, les trois avions ayant un peu souffert, quand même.

Ils sont partis à neuf heures du matin, par un temps superbe.

Une heure plus tard, une première frayeur a saisi les trois pilotes, le système radio était perturbé. Ils avaient prévu une petite déviation vers l’est pour éviter un mauvais temps sur la ligne droite. La communication devenait de plus en plus difficile, puis finalement, s’est éteinte. Ils avaient décidé de voler de près, pour bien se garder en vue. Le compas, lui, avait perdu la tête. Le chef de l’escadrille avait pu dire, avant la panne, qu’il fallait s’orienter avec le soleil, toujours l’avoir à l’est et ne pas s’écarter.

Là, tout s’est brouillé, les compteurs semblaient avoir été contaminés par un virus qui rendait fou. Pas loin, on arrivait dans un espace méconnu, connu déjà pour les disparitions de navires, mais même si on savait qu’il se passait des trucs bizarres, on s’en moquait un peu. Vous comprenez, avec le progrès, on est à l’abri de tout.

Vers vingt heures, à Basse-Terre, on commençait à s’inquiéter, même les officiels, qui avaient préparé un banquet fort républicain, trouvaient qu’il y avait quelque chose d’inquiétant. On avait mobilisé tous les centres de communications, mais rien. La rumeur enflait, les trois avions auraient été perdus dans ce qui allait devenir le triangle des virus, ce truc invisible qui peut mettre à terre tous les mécanismes, même bien huilés et souvent même réputés infaillibles.

Le lendemain, la presse n’avait plus de doute, l’escadrille La Devise avec le « Liberté », « l’Egalité » et le « Fraternité » avaient été perdus, victime d’un truc qu’on n’arrivait pas à comprendre.

Déjà, on suspendait tous les transports, même les paquebots et cela n’allait pas arranger l’isolement des iliens. On a cru à un sabotage par émission d’ondes perturbatrices, parce qu’on ne pouvait pas éliminer la théorie d’un complot d’une puissance intéressée par les Antilles, mais c’était stupide, il passait là des navires de tous les pays, personne n’avait envie de sacrifier ses compatriotes, alors on a imaginé qu’un type avait tripatouillé les systèmes, un peu simples encore, de repérage mais c’était accréditer la thèse qu’un fou pouvait saborder les navires et les avions et c’était calamiteux pour la vision du progrès, bref, on a tout imaginé sans jamais trouver. Alors, on a paré au plus pressé, on a cloué les avions et les bateaux au sol, ce qui pour un navire est un exploit, on a demandé aux gens d’être vigilants, il y avait peut-être un risque pour la santé, vous savez bien, les ondes, c’est louche, ça traverse le corps …

On réinventait une espèce de concours Lépine de l’idée saugrenue sans se rendre compte qu’on inquiétait les foules.

On n’a jamais revu les pilotes de la Devise, noyée dans un océan d’incertitude. Lentement, les choses se sont calmées, on a remis en place quelques activités parce que les gens n’en pouvaient plus.

Plus tard, pour éviter ce genre de crise, on a imaginé, par précaution, un principe promis à un grand avenir, pour anticiper toutes les crises économiques, avec un succès très mitigé. La faute aux technologies, eh bien on va les surveiller, tous ces systèmes. La faute à l’économie, eh bien, on va la réguler, cette foire aux profits. La faute aux citoyens, eh bien, eux aussi on va les mettre sous surveillance. Les progrès d’une époque sont les contraintes de la suivante, ainsi va le sens de l’amélioration de la condition des hommes sous le joug du principe que plus on veut notre bien, plus régressent les libertés. Ce principe a un autre nom : le principe de précaution.

Par chance depuis 1924, les communications ont fait un énorme progrès, on a quand même échappé au pire.

Toute cette histoire est évidemment fictive, on connaît tous les Moët et Chandon et Clicquot, dont la veuve éplorée a été élevée au rang d’icône de la fête, on ne sait pas pourquoi, d’ailleurs.

Ce texte est évidemment est un conte imaginaire sur la liberté qui permet aussi parfois de sourire quand les temps sont difficiles. Plus exactement un hymne à l’optimisme et l’hommage de l’humour à la bêtise. Je tiens quand même à rendre hommage à toutes celles et ceux qui ont contribué aux progrès de l’humanité, elles et ils ne sont pas comptables du dévoiement de leur courage et il est parfaitement indigne de les juger sans resituer le contexte. C’est les insulter et bafouer leur mémoire, pire même, c’est éteindre toute ambition pour l’avenir.

 

 

A tous les pionniers de l’aviation, les « fous volants », à celles et ceux qui ont fait ce que nous sommes en ignorant combien nous les décevons.

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