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le blog de Laurent Tellier

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Evasion, poésie, loufoque, tout ici est permis dans le respect des autres et de soi-même . Un espace de liberté et de partages autour d'un thème commun: l'amour de la langue française.


Les mésaventures du Maire d’Hallord

Publié le 19 Juillet 2022, 08:00am

 

       A la mémoire de Pierre Repp, injustement oublié

  • Maintenant, ça suffit, il n’y a pas à tergiférer, il va falloir avancer.

On n’a jamais bien compris si l’inénarrable jeune homme l’avait fait volontairement ou pas, ce qui est sûr, c’est que l’effet produit a été immédiat, un immense éclat de rire a résonné dans la salle du Conseil Municipal. Il voulait grandiloquer, en face de ces badernes aguerries aux effets de langage, lui le benjamin de l’assemblée, encore tout étonné d’être là. En 1924, dans des conseils municipaux entièrement masculins, il fallait avoir barbe grise et pince-nez pour s’occuper du bien des autres. Même le Marcel Petiot, à Villeneuve sur Yonne, ne sera élu qu’à vingt-huit ans, mais il était médecin, lui, et ce sera un an après notre novice, Marcel Grandiot.

Vingt quatre ans, il est né en 1900, pour éviter d’avoir à réfléchir sur son âge. Son père, confectionneur de valises en carton, avait fait fortune avant la guerre, il était fournisseur de l’armée et il avait des stocks encore importants. Du coup, il avait donné à son fils la responsabilité d’en fourguer un maximum et le garçon était devenu représentant itinérant international. Belle gueule, plein d’ambition et bien dégourdi, Marcel avait déjà rempli les caisses de la maison et c’est lui qui dirigeait l’entreprise, même si le père s’en défendait. Quand on avait pensé au père pour aller siéger au conseil municipal, c’est le fils qui s’est imposé, tout le monde avait cédé, même si les femmes ne votaient pas. Pourtant, certaines d’entre elles lui auraient donné leur voix, vu qu’elles lui avaient déjà donné leur corps. Mais c’est une autre histoire.

Voilà donc notre Marcel installé dans la respectable assemblée avec une grande ambition, devenir le Maire de la petite ville d’Hallord (jumelée avec Alor, au Timor-Oriental dans les années soixante-dix) dans cette belle région du Périgord valoisien, entre Vézère et Oise. Aussi, cette première réunion, où notre garçon décide de se montrer à la hauteur de sa réputation, doit marquer les esprits. C’est après ce premier couac, quand il s’empierge dans les mots, qu’il comprend que voilà sa chance : faire rire pour mieux séduire. C’est un vieux truc banal, mais dans une enceinte aussi austère, pas sûr que ça fonctionne. Bon, c’est vrai, c’est comme ça qu’il avait fait craquer les dames, sa belle gueule ne lui suffisait pas, il voulait aussi avoir un genre. Rien ne plaît plus qu’un bel homme qui soit drôle qu’un homme drôle qui soit beau.

Dès la deuxième séance du jeudi 1er mai 1924 (oui, l’assemblée était fortement réactionnaire, les jours fériés étaient donc réservés aux conseils municipaux), notre Marcel avait été chargé d’exposer, suite à l’adoption de la loi du 26 avril 1924, la délibération relative aux obligations d’assurer un emploi aux mutilés de guerre. Près de cent ans plus tard, cette loi reste encore la première disposition législative pour la réinsertion dans le travail des personnes en situation de handicap. Mais cela, Marcel s’en fiche parce qu’il a quand même un peu la trouille de présenter un texte aussi important. Faut-il, première question, faire rire l’assemblée avec un tel sujet. Nous en sommes seulement à sa deuxième représentation, il risque de décevoir, s’il renonce. Mais s’il le fait, comment va-t-on réagir ?

Bon, allez, tant pis, j’y vais, qu’il se dit. « Monsieur Alexandre Merlan, je veux dire Mirreland, enfin Millerand, vient de signer avec son sinistre, euh, son ministre Marginaux, non Marginal, comment, ah, Maginot, un texte d’une porte heurtée, enfin d’une haute portée, relative au travail des limités, des monte au lait, des… enfin des sans pionnés, des  pensionnés, oui, voilà, eux-mêmes et même femme pour les choses, pardon, même chose pour les femmes, les veuves de peu, enfin, je veux dire, des veuves de guerre, et même les femmes déniaisées, non d’aliénés, c’est pas pareil ». Là, le Maire d’Hallord se fâche. On lui cloue le bec, à l’impertinent. On est en 1924, et on ne badine pas avec les anciens combattants et mutilés, ils sont même assez puissants. D’ailleurs, au conseil municipal d’Hallord, je veux dire de jour-là et de ce lieu, siège une gueule cassée. Sauf que cet honorable citoyen est plié de rire et qu’il en redemande. On ne sait plus quoi faire, le Maire, cette fois-ci circonvenu, et non pas cette fois venu circoncis, l’art de la contrepèterie, selon Lacan Frédéric), est révélateur d’un trouble du langage, est désemparé. S’il fait taire Marcel, le vétéran va faire monter sa fédération au créneau, et c’est fini pour le prochain scrutin, et s’il le laisse faire, on va voir fleurir des comités de défense de la dignité des anciens combattants. Le piège de Marcel, auquel il n’avait d’ailleurs pas pensé, va devenir son moment de gloire. Etriqué dans son costume trop étroit, le Maire donne sa démission illico et notre jeune bonimenteur devient presto le nouveau Maire. On lui demande bien sûr d’arrêter de parler de la loi, que c’est évidemment un grand progrès mais on préfère qu’il fasse un beau discours d’intronisation. Entre temps, on avait fait appeler quelques journalistes, au cas où.

Monumental, exceptionnel, anthologique … Ah, les journalistes, ils ont bien rigolé, avec raison. Une fois que le Maire d’avant a laissé sa place au nouveau Maire d’Hallord, tout a changé.

« Merci messieurs. En ayant sis ici ce soir, vous m’avez permis, vous autres, d’imaginer que si les cons seyaient assis, au lieu de rester debout, nous pourrions délibérer à six au lieu de faire la Cène à treize. Moi, désormais, mon but est atteint, plus tard, quoiqu’il advienne, qu’il sera advenu, ou même qu’il advînt un jour, on dira toujours de moi. Ah, lui, ben Maire d’Allord, ça m’en débouche un coin ! »

Quand il s’est marié, c’est son adjoint qui a mis l’écharpe pour la cérémonie. Evidemment, confus et intimidé, il s’est emmêlé les pinceaux :

  • Mademoiselle Elna Kadiroui, voulez-vous etc
  • Oui
  • Monsieur Marcel Grandiot, voulez-vous prendre pour épouse Mademoiselle Elna Kadiroui ici présente.
  • Evidemment, que voulez-vous qu’elle dise avec un nom pareil

On a entendu, au fond de la salle, une petite voix qui chuintait : ah ben merde alors, ce qui, vous l’avouerez, était inattendu et savoureux.

Voilà donc l’histoire assez improbable de Marcel Grandiot, vendeur de valises, calembourdier bafouilleur, qui eut le grand privilège de devenir le Maire d’Hallord. Un jour, quelqu’un a rendu hommage à cet homme en lui dédiant sa chanson : « ma valise en carton ».

L’histoire n’est pas tout à fait finie, par décret en date du 1er mai 1944, le gouvernement d’alors (sic) a changé le nom trop équivoque de la commune d’Hallord en Aunay. Aujourd’hui, c’est la fille de Grandiot qui est devenue la Maire d’Aunay.

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