l'ivresse d'être comme tout le monde

Bon je reviens, un peu moins agacé, un peu plus dépité. Une bonne balade, ça remet les neurones en place. Ce n’est pas qu’ils étaient vraiment déplacés, les neurones, c’est qu’ils ne sont plus connectés. Vous me direz, dans une époque où le seul salut, c’est la connexion, c’est déconcertant d’être déconnecté, mais que voulez-vous, faut s’y faire. Figurez-vous que je viens de faire un bond de deux siècles en quarante-cinq minutes ! Epoustouflant, et cela, j’ose à peine le dire, grâce à une belle jeune fille qui travaille chez un connecteur de couleur mandarine. Voilà t’y pas que je viens enfin d’être relié au monde  grâce à une révolution technologique vieille d’il y a déjà une dizaine d’année (pas d’années-lumière vu que ce que l’on trouve sur les réseaux n’éveille pas vraiment l’intelligence) : le Wi-Fi. Je ne vous fais pas l’affront de vous dire ce que cela signifie, étant donné que je n’en sais rien mais c’est sans fil. Quand j’avais l’âge de ceux qui aujourd’hui commence à regarder du porno, sept ou huit ans environ, il fallait passer par une intermédiaire (très peu d’hommes osaient y aller) : l’opératrice. Elle était assise avec un casque sur les oreilles, comme maintenant, et elle enfichait des trucs dans des machins pour demander un correspondant qui allait chercher la personne demandée. En gros, l’attente était la même qu’aujourd’hui pour avoir une personne chargée d’un service public, même les urgences. La grande différence, c’est qu’on a supprimé les intermédiaires, ça coûte moins cher, mais ça ne résout aucun problème. Tenez, j’ai même fait l’expérience avec un service que par charité je ne nommerai pas, mais dont le dernier au bout de la chaîne ne lisait même pas les mails avec demande d’accusé de réception. Donc, on a gagné de l’argent en personnel, mais on n’est pas sûr d’avoir gagné de la qualité de service malgré tous les services, dits de qualité, qui s’autocongratulent d’avoir amélioré la qualité de leur repos au travail. Je reviens à mon opératrice du 22 à Asnières pour évoquer celle du service qualité d’une grande marque de vente. Si vous voulez avoir le service qualité, tapez 1, dix minutes plus tard, le service est déconnecté, veuillez rappeler ultérieurement ou sinon, envoyez un mail à l’adresse qui suit pour évoquer votre problème, un robot vous donnera des indications sur la manière de résoudre le problème. C’est beau le petit personnage qui se démène pour vous écrire qu’il faut préciser la question, qui ne se trouve pas dans l’index des problèmes. Au bout de l’éternité de mon impatience, j’ai laissé tomber. Mon problème reste entier, mais j’ai eu le privilège d’avoir parlé à un robot, de tapoter des imbécillités sur mon ordinateur, mais enfin, j’ai le privilège de faire partie de mon époque : je suis connecté. J’ai enfin trouvé le repos à être comme tout le monde, perdu dans un monde où si l’on ne rencontre plus personne, on parle avec tout le monde.

Au bout de compte, parce que j’ai décidé d’être justement comme tout le monde, je vais faire comme tout le monde, ignorer tout le monde en parlant avec tout le monde et au bout du compte, ça en fait du monde qui parle avec tout le monde en ignorant tout le monde. Ainsi va le monde, où tout compte fait, je me sens bien tout seul et en regardant tout le monde.