le retour de l'automne

Quand je suis allé en Chine, allez savoir pourquoi, j’ai glissé un petit papier dans une anfractuosité de la Grande Muraille. Je sais bien que je n’étais pas à Jérusalem et que je ne suis pas Juif. Ça n’a rien à voir avec le Mur des Lamentations, la Grande Muraille. Pourquoi j’ai fait cela ? C’était une promesse silencieuse fait à mon père. Il arrivait parfois qu’il parle d’un de ses rêves, aller en Chine. Pourquoi diable avoir envie d’aller en Chine en ces temps de révolution culturelle, quand il était impossible d’y aller. La Chine, ça lui parlait comme un rêve, il paraît même qu’on la voit de la Lune. On sait maintenant que ce n’est pas vrai, Mais imaginer qu’on est sur la Lune pour regarder la Terre, quand même, pour y voir quoi ? Le bazar actuel, pas la peine, c’est trop affligeant. Mais lui, voilà, en son temps, c’était son rêve. Ma mère, pas sûr qu’elle l’aurait suivi, enfin si, justement, pour le suivre ?

J’ai repensé à tout cela au pied du Mur. C’est pas simple de trouver le bon trou, et puis c’était rempli de monde qui montait, qui descendait, je n’avais pas envie de me faire remarquer. J’en avais quand même plein les bottes, parce que ça monte raide, bon, c’est vrai, il y en avait qui renonçaient à mi-chemin, ou un peu plus. J’avais promis (à qui ?) que j’irai au bout de son rêve, alors tout en haut de ce qui nous était autorisé, c’était clairsemé et j’ai trouvé la faille que je cherchais. J’ai glissé le mot et tant pis pour l’environnement, mais là-bas c’est à peu près irrespirable, j’avais donc plastifié le petit mot tout simple : voilà, j’ai réalisé ton rêve.

C’était il y a maintenant onze ans, j’en n’ai jamais parlé. Si ça se trouve, quelqu’un a trouvé ce papier énigmatique. Il doit bien s’interroger, aller réaliser le rêve d’un autre au bout du monde, c’est étrange.

Si de la Lune, malgré tout, on voit quand même la muraille et qu’un petit reflet scintille, ne vous inquiétez pas, rangez vos théories du complot, c’est juste un signe pour quelqu’un qui avait un rêve saugrenu à l’époque. Pourquoi je parle ça aujourd’hui ? Un besoin sans doute.

Je ne voyage plus depuis longtemps et j’aurais des scrupules à en parler, pour toutes les raisons que l’on sait. Voilà, il me reste l’idée d’avoir voyagé avec un passager clandestin qui ne pouvait pas être détecté.

J’ai peur d’avoir été un peu trop nostalgique, ça change de l’habitude, et puis il pleut, c’est gris, c’est triste comme la pluie en automne, en Chine ou ailleurs.