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le blog de Laurent Tellier

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Evasion, poésie, loufoque, tout ici est permis dans le respect des autres et de soi-même . Un espace de liberté et de partages autour d'un thème commun: l'amour de la langue française.


la danseuse de mes rêves

Publié le 21 Octobre 2022, 08:00am

Elle s’est levée, elle a poussé quelques sièges puis, sans prévenir, elle s'est mise à danser. Seule. Nous la regardions comme on regarderait un fantôme.

Aérienne, magnifique, d'une grâce infinie. Je pensais à cette belle phrase de Théophile Gautier à propos de la Taglioni : « elle prie avec ses jambes ». C'était cela. La prière d'un corps avec la danse de la grâce. J’ai gardé un souvenir ému de ce moment, quand on approche l’inaccessible. Elle avait quoi, vingt ans …

C’est là que le réveil a sonné, brutal, sauvage. Je l’ai balancé par terre, il continuait à sonner. J’ai eu envie de crier. Et puis j’ai compris, le rêve avait passé.

Je suis parti au boulot, j’étais ronchon, je crois bien avoir évité de dire bonjour à mes collègues, mais ils ont l’habitude …

Je crois que les rêves trouvent leurs sources dans des moments de notre vie réelle et puis ils sont triturés par notre inconscient qui sait très bien comment nous pourrir la vie.

La danseuse, c’était qui, je n’ai jamais de ma vie regardé un spectacle de danse, alors, c’est un fantasme, mais on tourne en rond. Pourquoi j’ai eu besoin de cette vision, au petit matin pour me gâcher ma journée.

A midi, je suis allé m’acheter un sandwich et comme c’était plein à craquer dans la petite boulangerie, j’ai eu tout le loisir de regarder le monde autour de moi.

Elle était là, juste derrière moi, attendant patiemment, avec un sourire un peu narquois, comme si elle me disait : « alors, ton rêve, c’est vrai ou pas ? »

Arrivé là, on se pose des questions. On s’interloque, on s’invective, on se regarde dans le miroir, on se pince, enfin, on essaie de comprendre.

Et puis le temps passe, à sa vitesse, celle à laquelle la terre tourne sur elle-même, j’ai oublié la danseuse mais j’ai encore rêvé d’elle (tiens, ça me dit quelque chose), longtemps jusqu’à ce jour où j’ai entendu : « alors ton rêve, c’était vrai ou pas ? »

J’aime pas trop les maths et encore moins les statistiques, alors je me fie aux miennes. Ce coup-là, il y a tellement peu de chance qu’il existe que je me dis que ceux qui ont inventé le zéro se sont trompés. Le zéro absolu, c’est un fantasme, une lubie, un truc pour rendre les matheux encore plus exorbités (je dois préciser que c’est une blague, c’est obligatoire sinon gare, et là, les stats sont contre moi). Et pourtant, c’était bien elle, et reconnaître une danseuse à sa voix, c’est un art, que dis-je, une métaphysique de la mémoire (oui, ça veut rien dire, mais j’ai le droit, non ?).

Comme moi, elle avait, avec l’âge, revêtu d’autres formes, un peu plus épaisses mais elle avait gardé toute cette aura, que dans mon regard, je ne voyais que celle qui priait avec ses jambes. Pourtant, c’était le temps qui nous avait déformés, inexorable, sans pitié et je ressentais une sourde colère parce que j’aurais  vivre le rêve qu’elle nous promettait, on n’aurait rien vu, quand on vieillit ensemble, on ne voit rien. Je m’en voulais d’avoir raté un destin et oui, je sais, j’avais une chance sur deux de la suivre, là, c’est pas compliqué, même un nul comme moi sait faire le pourcentage !

Je ne voulais pas savoir quel était son regard sur moi, pourtant, je voyais bien qu’elle comparait le réel et son passé, c’est pareil pour tout le monde, cent pour cent des gens vont mourir, même ceux qui se croient éternels. Nous avions changé, mais de la même façon, en volume. La danse, elle avait abandonné à cause d’une mauvaise chute (y en a-t-il des bonnes ?), puis après c’est l’abandon de soi, puis c’est trop tard. Elle m’agaçait, elle me renvoyait mon image, mes lâchetés, tant et si bien qu’elle m’a un peu énervé, je n’arrêtais pas de penser : finalement, les femmes bien en chair m’aigrissent !, mais ça fait plutôt Pierre Dac, c’est trop décalé. Pourtant, j’ai souri à ma mauvaise blague. Elle m’a demandé pourquoi et je le lui ai dit. Elle m’a giflé puis elle est partie. Elle m’a lancé un « alors ta vie, c’était bien ou pas ? ».

Et tout ça, c’est de la faute à Théophile Gautier, lui, l’illuminé d’Hernani ! Quand même, raconter ses rêves, c’est de l’exhibition, même si parfois c’est cinquante euros la séance, n’empêche que c’est bien dans le cerveau que naissent les désirs, et nulle part ailleurs, n’en déplaise à certains, sinon, que viendrait faire la danseuse dans ma vie, surtout celle qui imagine le tutu et les pointes. Pas vrai ?

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