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le blog de Laurent Tellier

le blog de Laurent Tellier

Evasion, poésie, loufoque, tout ici est permis dans le respect des autres et de soi-même . Un espace de liberté et de partages autour d'un thème commun: l'amour de la langue française.


billet de mauvaise humeur

Publié le 26 Février 2022, 09:58am

On a retrouvé l’épave du marin (oui, on appelle cela la licence poétique) que l’on croyait perdu en mer. Finalement, il s’était échoué sur les rives d’une lagune où le seul panneau indiquait : « pour les pannes d’inspiration, attendre le retour de la marée ». Voilà donc revenue la douce source et le rythme incessant des vagues d’imagination. Le retour du printemps et des grandes promenades, le babil des oiseaux enfin réveillés, les chemins interminables et parfois aventureux, ici, c’est la montagne et ça grimpe raide et parfois une idée qui traverse l’esprit. Il faut bien dire que les longues journées de pluie n’incitent pas à la méditation. Or donc, après une éclipse saisonnière vite dégagée par quelques pensées divagantes, me voilà à nouveau opérationnel. Dommage, me direz-vous, c’était parfois très instructif, votre silence, on se demandait bien ce qui vous était arrivé, un accident, une maladie. Non, c’est clairement une panne d’encrier. Mais je fais dans la surenchère, dans le sensationnel, comme la presse de nos jours, rien n’est jamais « normal », les tempêtes sont des bombes météorologiques, les maladies sont létales, parce que mesdames et messieurs, on ne meurt plus, on décède, et c’est là toute la nouveauté de la mort. On n’en parle plus, on la suggère, on la fantasme, on la réfute, on la nie. D’ailleurs, pour ceux qui restent on a inventé le travail de deuil, comme le travail de la mère qui enfante, comme l’ouvrier qui va à l’usine et qui s’y emmerde, comme tous ceux qui ne font rien envisagent la peine des autres. Vivement une Assemblée Nationale qui interdise la mort, avec des amendes pour excès de vie, un radar sablier pour compter les heures inutiles. Bref, vous l’avez compris, je suis mal luné à force d’entendre les messages « pour notre bien ». Si l’on voulait notre bien, alors on en parlerait, par exemple dans une campagne électorale, on ne dirait pas un torrent d’âneries tous les jours, on parlerait de la vie chère, des soucis dans les services publics, je ne sais pas moi, il y en a des trucs à dire, la dette, comment on va s’y prendre, on nous a tellement dit que c’était « abyssal », comment on envisage l’éducation, la culture, la santé (la bonne santé)

 On croit toujours qu’avant, ils étaient nuls, inconscients. Bien sûr, les pôvres, il n’avaient pas Internet, Facebook, les prisons mentales qui enferment dans un monde virtuel. Loin de moi le « c’était mieux avant », c’était juste différent mais je ne ferai jamais l’insulte à nous ancêtres d’avoir été des nuls, c’est mépriser ceux qui sont morts aux combats pour défendre ce que nous gaspillons : la liberté. Alors, ce qui me préoccupe aujourd’hui, c’est bien l’indifférence élevée au rang de valeur intellectuelle. On ne crée rien sur ce principe, et si aujourd’hui, je me mets en retrait de la dérision, c’est parce que je suis quand même un peu dépité de constater que comme à chaque fois, quand arrive le pire, on croit que c’est la première fois. L’histoire, c’est justement apprendre de ce qui s’est passé, comprendre les tenants et les aboutissants, chercher d’où vient le problème. Nous sortons d’une « guerre » sanitaire, avec nos milliers de grands généraux-savants qui eux, se sont livrés à leur propre guerre de leurs égos, pour aller dans une guerre où ce sont des fusils qui tuent et des militaires qui donnent des ordres. Nous voyons bien l’ambiguïté, un scientifique, c’est un militaire en blouse blanche quand il assène ses prédictions avec des tonnes de chiffres, de courbes à égarer ceux qui essaient de suivre, sinon de comprendre. Je sais les risques que je prends quand la moindre demande de comprendre est vilipendée, voire méprisée : tais-toi, eux ils savent, obéis. Eux ils savent et ils sont intolérants, toi, tu ignores et tu es complotiste.

J’ai rêvé, il y a peu, il y a des milliards d’années-lumière, que l’on ne peut faire accepter que ce qui est partagé, mais je persiste à penser que je suis encore un peu libre de penser.

Depuis peu, nous entrons dans une guerre réelle, où personne n’avance masqué. Et là, tout le reste devient annexe. C’est ce que l’on a appris des guerres d’avant : être fort avec les faibles et être faible avec les forts et là, pas besoin de scientifique, juste un regard sur le passé. Je sais, ça ne se fait plus, on se goberge de tout savoir. Déjà, on s’habitue, on scrute la bourse, les approvisionnements, on met un masque qui là, cache les yeux. On attend que le virus guerrier se calme, et puis un nouveau viendra, et on fera comme si c’était le premier…

Pardons pour cette chronique désabusée, je n’avais pas envie, en ce moment, d’être rêveur, j’ai tellement honte de voir mes idéaux fracassés, les combats que j’ai menés pour une sorte de fraternité universelle, ou tout au moins, un respect mutuel pour la vie, des luttes acharnées pour le partage de toutes les richesses matérielles, morales et intellectuelles. Je ne suis ni prophète, ni censeur, ni juge, je ne suis rien d’autre qu’un homme déçu d’avoir consacré sa vie à des espoirs heureux. Rassurez-vous, je vais revenir dans mon monde, retrouver tous mes amis : les poètes, les écrivains, tous ceux qui nous montrent où se trouve le sursaut : en soi-même, et tant pis si c’est égoïste :

Ô Europe, que de frontières,

Que d’assassins tapis entre elles ;

Dois-je pleurer sur la pucelle

Qui d’ici deux ans sera mère ?

Pour m’avouer Européen

Dans le chagrin devrai-je vivre ?

Moi, le compagnon des ours libres,

Sans liberté, je ne suis rien.

Ce poème est un apologue,

La mer a déchaîné ses flots ;

Au cœur des nuages, sur les eaux,

Une table, couvert mis, vogue.

 

Attila Jozsef (1905-1937), poète hongrois. Texte adapté par Anne-Marie de Backer récompensée à Marmanhac en 1954 avec le Prix Jean-Cibié pour son recueil de poèmes « Danse du cygne noir »

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