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le blog de Laurent Tellier

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Evasion, poésie, loufoque, tout ici est permis dans le respect des autres et de soi-même . Un espace de liberté et de partages autour d'un thème commun: l'amour de la langue française.


Avec force et vigueur

Publié le 1 Février 2022, 09:03am

Madame Anna, femme altière et méprisante, promenait sa quarantaine éclatante dans le cimetière du Père Lachaise. Elle allait s’incliner sur la tombe de son vieux mari, inhumé là il y a quelques jours. Madame Anna n’avait pas l’air fort émue et on devinait qu’après ce passage obligatoire, elle irait fréquenter d’autres lieux pour dissiper sa peine. Sur la tombe, une plaque : Alfred Saint-Amour de Vintant : 1844-1924. Quatre-vingts ans, ça fait à peu près quarante ans de plus que la dame. On a bien le droit d’aimer à tout âge, c’est entendu. Mais je vous raconter la vie de Madame Anna et on en reparle après. Pendant que vous lisez, je vais me servir un verre de Bourgogne aligoté et si quelqu’un râle que non, enfin, vous n’y pensez pas, de l’alcool, en pleine période de prohibition morale. Et bien, je m’assieds dessus, la morale, il y a aussi les bonheurs de vie quotidienne autres que les cours de la bourse. La bourse, on va y revenir.

La fiche signalétique, c’est celle du commissariat du quartier, je n’invente rien :

Anna Pahassé, née le 2 mars 1884 à Saint-Rémy en Buzemont Saint Genest et Isson, dans la Marne (ça c’est pour embêter ceux qui croient que je veux rallonger les histoires) de père et de mère inconnue. Recueillie par un orphelinat de bonnes sœurs puis adoptée  par la famille Pahassé, à Reims. Illettrée, ne sait pas signer son nom, elle a épousé le 4 avril 1902 Charles-Henry de Boissant-Soif, marquis belge âgé de soixante-dix huit ans, mort le janvier 1903 de causes naturelles, remariée le 6 mars 1903 avec Hughes de Pradignac, ancien sénateur, mort de causes naturelles le 7 juillet 1903, remariée le 6 août 1903 à Robert Pain, banquier suisse, mort le 15 octobre 1903 et enfin, mariée le 13 décembre 1923 (vingt ans après, note le policier) à  Alfred Saint-Amour de Vintant, colonel ER de la Légion Etrangère , mort le 6 juin 1924.

Donc, Madame Anna a été veuve quatre fois, on comprend son indifférence, maintenant. Ce qui interroge un peu, c’est la rapidité des trois premiers veuvages et puis la longue période d’éploration. Oui, j’ai des doutes sur ce mot mais comment parle-t-on de cette période où la veuve est éplorée ?

Riche, elle l’est devenue. Tous les hommes précités étaient célibataires, sans héritier, de bien belles prises. On suppose quand même qu’ils avaient au moins gardé un peu de vigueur pour satisfaire les besoins d’une femme en pleine beauté.

Le petit inspecteur Bonhomme avait décidé, contre sa hiérarchie, de mener une petite enquête afin de comprendre cette macabre succession de fortunes infortunées. Pas facile, il ne sert plus à rien d’exhumer, c’est trop long vingt ans pour les trois premiers, mais le dernier. En 1924, on sait trouver des choses dans les cadavres, le Docteur Charles Paul s’est fait un nom, il pourrait bien regarder tout ça, mais comment convaincre le juge pour ordonner une autopsie. Il y va au culot, rencontre le docteur Paul, qui, intrigué et intéressé, en parle à son ami le Procureur Général. Deux jours après, on convoque la belle Anna pour l’informer.

Mais comment, mais qu’est-ce ? Laissez-moi, je viens de perdre mon mari, je ne m’en remets pas …

C’est donc notre brave inspecteur qui interroge la dame, avec sa faconde et sa bonhomie (!) habituelles. Juste pour l’informer de la procédure, on attendra l’autopsie pour savoir la suite. Elle est contrariée, la dame Anna, elle tique, croise ses jambes sans arrêt pour troubler l’enquêteur. Finalement, elle prend acte et s’en va.

A la morgue, Paul a bien avancé. Un taux de phosphore tellement élevé qu’il ne fait aucun doute que c’est la cause de la mort. Il connaît bien le truc, on donne de la Damiana  avec une dose de phosphore et hop, on croit atteindre l’extase et on arrive chez Saint Pierre. Ni vu ni connu, surtout si l’amant est un peu âgé, qu’il a du mal à redresser la barre. C’est à peu près indétectable, sauf autopsie et encore, c’est assez mal connu. Sauf de Monsieur Paul. On n’a pas besoin d’aller s’embêter pour les autres, depuis vingt ans, paix à leur âme et s’ils sont partis comme Félix Faure, ma foi ! tant mieux pour eux.

Du coup, on rappelle Madame Anna, qui n’en revient pas. Mais Monsieur, je sais rendre un homme un homme, pas besoin de trucs inutiles, je ne suis pas une putain. Voilà, le mot est lâché, elle n’a pas compris que c’est pour les héritages qu’elle est là. Sa réputation, elle se l’est faite toute seule, mais sa fortune … On va fouiller son appartement, on trouve plein de produits à base de phosphore. Mais enfin, j’achète bien ce que je veux. Certes, mais d’où vient tout ce phosphore ? J’ai un ami à la Société des Allumettes, il se fait de l’argent en en vendant aux amis. Ah bon, mais on n’en croit pas un mot.

La voilà déférée au Parquet, elle choisit de prendre Maître de Moro-Giafferi pour défenseur qui ne peut éviter la mise en examen pour quatre meurtres. Finalement, on a rajouté les trois autres pour la similitude et surtout, pour la succession rapide des trépas.

21 décembre 1924. Le procès s’ouvre devant une palanquée de journalistes, c’est un peu le procès de la Veuve Joyeuse. Trois jours. Pour les parties civiles, il n’y a personne, c’est l’avocat général qui s’y collera. Le jury, rien que des hommes, bien sûr, nous sommes en 1924 et la justice est masculine. Ça ne se passe pas très bien pour Madame Anna, elle est arrogante, sans aucune compassion pour ces « vieux machins qui ne marchaient plus ». Sa fortune, mais c’est normal, elle s’est toujours mariée sous le régime de la communauté, elle hérite des biens. Mis c’est là qu’elle lâche : « j’aurais dû suivre mon idée et partir en Belgique au château de Boissant-Soif, je savais bien qu’il y aurait un imbécile (on a entendu un autre mot, mais sur le procès-verbal, on l’a changé) pour chercher des noises. »

De Moro-Giafferi avait compris que c’était foutu. Vingt-cinq ans au gnouf, à Rennes, chez les femmes.

La destinée du Damiana  a connu des hauts et des bas (en soie). Plus tard, en raison de l’apathie liée aux nouveaux modes de vie, les hommes ont souffert de paresse, ou de fatigue, au lit. C’est normal d’aller au lit quand on est fatigué, mais seul. Donc, on a inventé un produit miracle. Allez donc savoir pourquoi on lui a donné un nom sanskrit (Viagra) qui veut dire « tigre ». Si on m’avait demandé mon avis (ce que personne ne fait jamais), j’aurais choisi :                              इन्द्रियनिग्रह. [1]

Ça veut dire chasteté, on serait bien moins embêté pour aller chez le pharmacien, mais ce que j’en dis.

J’ai fini mon verre de Bourgogne, alors, vous, votre avis, Madame Anna, coupable ou innocente. Attention, c’est comme en 1924, seuls les hommes peuvent voter. Du coup, me voilà bien mal en point.[2]

 

 

[1] C’est une traduction approximative, j’ignore s’il faut un accent aigu ou circonflexe sur le hiéroglyphe 4

[2] Je précise que 1°) c’est de l’humour, 2°) que si on pense le contraire, c’est bien dommage, 3°) que si c’est dommage eh bien, tant pis.

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